Le principe de précaution : retour sur un an de jurisprudence
antennes relais et principe de précaution : un outil juridique galvaudé ?
Genèse d'un principe au service de l'intérêt général
Le principe de précaution est né dans les années 1970 en Allemagne, sous le nom de "Vorsorgeprinzip", en réponse aux préoccupations croissantes concernant les risques environnementaux liés au développement industriel. Il visait alors à anticiper et à prévenir les dommages à l'environnement, même en l'absence de certitudes scientifiques absolues.
Le principe de précaution s'est ensuite progressivement imposé sur la scène internationale, notamment avec la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement de 1992. En France, il a été introduit dans le droit interne par la loi Barnier de 1995, avant d'être consacré par la Charte de l'environnement de 2004, intégrée au bloc de constitutionnalité.
L'objectif du principe de précaution est de permettre aux autorités publiques de parer à la réalisation d’un dommage, même si la réalisation de ce dernier est incertaine en l’état des connaissances scientifiques, afin de protéger la santé publique et l'environnement. Il s'agit d'un principe d'action, qui encourage la prise de mesures préventives pour éviter des dommages graves et irréversibles.
Le principe de précaution : un outil galvaudé pour contester l'implantation d'antennes relais
Le déploiement des antennes relais, notamment avec l'arrivée de la 5G, suscite régulièrement des inquiétudes et des oppositions. Le principe de précaution, censé protéger la santé et l'environnement face à des risques incertains, est souvent brandi comme un étendard par les opposants à ces installations.
Mais ce principe, initialement conçu pour encadrer l'innovation technologique, ne serait-il pas en train d'être détourné de sa fonction première ? L'analyse de la jurisprudence de 2024 conforte une tendance préoccupante qui sévit maintenant depuis plusieurs années : le principe de précaution est de plus en plus souvent invoqué de manière abusive, dans le but de retarder, voire d'empêcher, l'implantation d'antennes relais. Sur plus de 60 décisions de justice analysées au cours de l’année passée, aucune n'a été rendue en défaveur d'un opérateur ou gestionnaire d'infrastructures sur ce fondement et pour cause.
Un principe protecteur encadré par la jurisprudence
Si le principe de précaution est essentiel pour encadrer l'innovation et prévenir les atteintes à la santé et à l'environnement, son application en matière d'urbanisme, et notamment pour l'implantation d'antennes relais, est strictement encadrée par la jurisprudence. Les juges administratifs exigent des requérants qu'ils apportent des éléments concrets et circonstanciés démontrant l'existence d'un risque potentiel, faute de quoi leurs arguments sont rejetés. De simples craintes ou des études générales voire même des études scientifiques non reconnues par les instances officielles sur les dangers des ondes électromagnétiques ne suffisent pas à justifier l'application du principe de précaution.
Le cœur du problème : l'absence de preuves tangibles
C'est bien là que le bât blesse. Dans tous les cas étudiés, les opposants aux antennes relais ne fournissent aucune preuve solide et circonstanciée démontrant un risque potentiel et spécifique lié à l'installation projetée. Ils s'appuient souvent sur des études générales, des rapports controversés, ou des témoignages isolés, qui ne sont pas jugés suffisamment probants par les juges.
Apporter des éléments circonstanciés : une gageure ?
Apporter des éléments "circonstanciés" pour justifier le recours au principe de précaution semble particulièrement difficile au regard du consensus scientifique et réglementaire actuel officiellement reconnu en France.
Les études de l'ANSES et les avis des Académies de médecine, des sciences et des technologies concluent en effet à l'innocuité des antennes relais, tant que les valeurs limites d'exposition sont respectées.
Il est important de rappeler que sur 60 000 mesures réalisées par l’ANFR jusqu’en 2022 sur des stations radioélectriques, le niveau moyen d’exposition mesuré était inférieur à 1V/m alors que les limites réglementaires oscillent, selon les bandes de fréquences entre 28 et 61 V/m pour les antennes relais avec une marge de sécurité qui est comprise entre 88 et 197 V/m avant d’entrer dans le seuil d’effets sanitaires présentant un risque pour la santé qui commence à partir de 198 V/m.
Face à ces données, il nous semble par conséquent particulièrement difficile pour les requérants de prouver un risque potentiel et spécifique lié à l'installation d'une antenne relais.
Une utilisation abusive du principe de précaution ? le cas de la commune de Ronchin
L'analyse des décisions de justice rendues en 2024 révèle une tendance à l'utilisation qui pourrait être qualifiée d’abusive du principe de précaution dans les litiges relatifs aux antennes relais.
Dans de nombreux cas, ce principe est invoqué sans véritable fondement scientifique, dans le but de retarder, voire d'empêcher, l'implantation de ces infrastructures.
La commune de Ronchin illustre parfaitement cette tendance. En effet, elle est impliquée dans plusieurs litiges où elle a refusé l'implantation d'antennes relais sur son territoire, en invoquant le principe de précaution sans apporter d'éléments concrets et circonstanciés justifiant ses craintes. Face à cette attitude, les juges administratifs ont à plusieurs reprises annulé les décisions de la commune, lui rappelant que le principe de précaution ne peut être utilisé de manière générale et abstraite.
Ainsi, dans le jugement du Tribunal administratif de Lille du 1er juillet 2024 (n° 2406061), le tribunal a suspendu la décision de refus du maire de Ronchin et lui a enjoint de délivrer une autorisation d'urbanisme à la société Cellnex France. Le tribunal a estimé que la commune n'avait pas apporté d'éléments suffisants pour justifier son refus au nom du principe de précaution.
De même, dans le jugement du Tribunal administratif de Lille du 23 mai 2024 (n° 2200999), le tribunal a annulé un autre arrêté de refus du maire de Ronchin, jugeant que la commune ne pouvait pas se fonder sur le principe de précaution sans démontrer l'existence d'un risque avéré pour la santé des riverains.
Ces décisions montrent que les juges administratifs sont vigilants face aux utilisations abusives du principe de précaution. Ils rappellent aux communes qu'elles ne peuvent pas s'opposer systématiquement à l'implantation d'antennes relais en se fondant sur des craintes non fondées.
Le principe de précaution et le PLU : une limite claire
Il est important de rappeler que les maires ne peuvent pas insérer dans leur Plan Local d'Urbanisme (PLU) des dispositions visant à interdire l'implantation d'antennes relais au nom du principe de précaution.
Le juge administratif a clairement affirmé que la réglementation des ondes électromagnétiques relève de la compétence de l'État, et que les communes ne peuvent pas se substituer à lui en la matière.
Ainsi, dans l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon du 24 octobre 2024 (n° 22LY02802), la Cour a jugé que le maire ne pouvait pas prendre une décision de refus d'autorisation d'urbanisme sur le fondement du principe de précaution, puisque cela relevait de la compétence exclusive de l'État.
Cette jurisprudence limite les possibilités pour les communes d'utiliser le PLU pour entraver l'implantation d'antennes relais. Elle confirme que le principe de précaution ne peut pas servir à contourner la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales.
Recours abusif et atteinte à la liberté d’entreprendre.
Cette invocation du principe de précaution sans réellement fondement pourrait être constitutive d'un recours abusif, voire d'une atteinte à la liberté d’entreprendre.
Si un requérant utilise ce principe de manière dilatoire, il pourrait alors s’agir d’une entrave à l'activité économique des opérateurs de téléphonie mobile et/ou gestionnaires d’infrastructures et un frein au développement des réseaux de communication.
Le juge administratif pourrait alors sanctionner ce comportement en rejetant le recours et en condamnant le requérant à payer des dommages et intérêts à l’opérateur de téléphonie mobile ou gestionnaire d’infrastructures.
Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’une telle atteinte serait relevée par la jurisprudence (en ce sens voir la position de Cour Administrative d'appel de Douai 1ère Chambre, 23 novembre 2023, n° 22DA00613)
Conclusion
Si le principe de précaution est un outil essentiel pour encadrer l'innovation technologique et protéger la santé publique et l'environnement, son utilisation abusive dans le cadre des litiges relatifs aux antennes relais est préoccupante et mériterait à l’avenir d’ouvrir droit à des sanctions plus lourdes au bénéfice des opérateurs de téléphonie mobile et gestionnaires d’infrastructures afin d’éviter des recours à foison dans l’unique dessein de freiner la couverture numérique du territoire français et l’intérêt public qui y est associé.
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